« Environnement toxique ». Si l’expression est bien connue, le concept qui la sous-tend n’est pas forcément bien cerné. Engagés s’est entretenue avec Marie-Hélène Chèvrefils, fondatrice d’Evō conseils, une organisation spécialisée en expérience employé, pour permettre aux équipes d’OBNL d’en savoir plus sur ce mal qui peut affecter les milieux professionnels et sur les actions à prendre lorsqu’on y fait face.
Candidats et candidates, référez-vous à cette fiche d’information comme à une fiche info-santé pour prendre soin de vous au travail.
Définition diagnostique
Un environnement toxique correspond à un milieu de travail dont une ou plusieurs conditions nuisent passablement à l’atmosphère et au bien-être des employés et employées et des gestionnaires.
Le caractère toxique peut atteindre une relation entre quelques personnes en particulier, une équipe au complet ou toute l’organisation.
Symptômes
Il existe une longue liste de signes pouvant indiquer qu’un milieu professionnel est potentiellement toxique.
- En voici les principaux :
- Épuisement professionnel (burnout)
- Taux de roulement des employés et employées excessif
- Manque de collaboration entre les ressources et équipes
- Méfiance entre les employés et employées ou envers les cadres
- Réactions démesurées face à des situations ou demandes
- Irritabilité des ressources humaines
- Absence d’intérêt à entrer en relation avec ses pairs
Notre experte, Mme Chèvrefils, insiste cependant sur un point d’importance : ce n’est pas la multiplicité des signes qui permettent de confirmer le diagnostic. En d’autres mots, la présence d’un seul signe peut suffire pour qu’on parle d’environnement toxique lorsque la fréquence et l’intensité du signe sont éloquentes en soi.
Prévention
Afin de vérifier que l’organisation qui les intéresse ne semble pas affectée par un environnement toxique, les candidats et candidates peuvent suivre ces quelques conseils :
- Se renseigner sur l’organisation avant même de poser sa candidature :
- Visiter le site web pour connaître les valeurs de l’organisation et lire des témoignages des employés et employées si possible
- Entrer en contact avec des employés et employées sur LinkedIn pour obtenir leur son de cloche
- Sonder son réseau, à la recherche d’informations sur l’organisation
- Fouiller dans Glassdoor et certains groupes sur les réseaux sociaux pour approfondir sa recherche d’informations sur l’employeur
- Utiliser l’entrevue pour enrichir son enquête
- Poser des questions qui renseignent sur la culture de l’organisation (ex. : « Comment est-ce que l’esprit d’équipe est mis en valeur au quotidien? », « Quel est votre taux de roulement en période d’intégration? », « Menez-vous des entretiens de fidélisation1 », etc.)
- Demander de rencontrer les collègues à venir et les questionner sur la dynamique au travail
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1 Entretien au cours duquel on invite l’employé ou l’employée à exprimer ses souhaits, à faire connaître ses besoins, à discuter de ses conditions de travail et à faire le point sur le développement de sa carrière. (Définition inspirée de celle proposée par le Grand dictionnaire terminologique)
Causes
Les causes pouvant mener à un diagnostic d’environnement toxique sont nombreuses et diversifiées. En voici une liste non exhaustive :
- Manque de soutien sur le plan organisationnel, souvent induit par la direction et la culture d’entreprise
- Manque de leadership
- Manque d’entraide entre collègues
- Problèmes de communication interne
- Manque de transparence
- Information transmise au compte-gouttes
- Information embellie pour dissimuler la vérité
- Manque de reconnaissance pour le travail accompli
- Exigences déraisonnables envers les employés et employées
- Objectifs irréalistes
- Objectifs dont l’atteinte ne dépend pas des individus
- Surcharge de travail
- Priorités et urgences exagérées
- Microgestion et rigidité des cadres
- Incivilité
- Comportements déviants ou discriminatoires (ce qui inclut le harcèlement), qui sont la preuve d’un traitement inéquitable basé sur des éléments de la Charte des droits et libertés de la personne
- Conflits qui sont à la source d’attitudes inadéquates (interrompre, hausser le ton, faire preuve d’agressivité, bouder, exclure) et qui ne sont pas gérés
- Microagressions (ex : propos d’apparence banale, mais réellement vexatoires; commentaires humiliants ou insensibles bien que l’intention ne soit pas malicieuse; invalidation d’un comportement problématique ou de l’apport d’une personne)
- Personnalité toxique au sein de l’équipe, par exemple :
- Personne narcissique (a la conviction de toujours avoir raison et a l’habitude de jeter le tort sur les autres)
- Personne menteuse ou manipulatrice (fait appel au chantage émotif)
- Personne ayant de la difficulté à gérer ses émotions (peut se mettre à crier ou à insulter, entre autres)
Effets secondaires
- Les employés et employées qui évoluent dans un environnement professionnel toxique peuvent ressentir l’un ou plusieurs des effets secondaires suivants :
- Sentiment d’incompétence et perte de confiance en soi
- Désengagement et démobilisation
- Hausse de l’absentéisme
- Résentéisme (soit rester au travail tout ressentant de l’amertume et en l’exprimant aux pairs – et non aux cadres)
- Baisse de productivité, de créativité et de rendement
- Démission
- Irritabilité, stress, anxiété et émotions à fleur de peau
- Malaise psychologique et physique
- Crainte de commettre des erreurs et perte d’initiative
- Isolement et non-participation au sein de l’équipe
- Équipe dessoudée et nourrie par la jalousie et les coups bas
- Épuisement professionnel (burnout) et dépression2
- Ces effets secondaires entraînent à leur tour des effets néfastes sur la santé et l’avenir de l’organisation, dont :
- des procédures répétées de recrutement et de formation de recrues, donc l’enflure des dépenses;
- une baisse de rendement et une difficulté à atteindre les cibles annuelles, donc la perte de revenus;
- la mauvaise réputation de l’employeur.
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2 Selon une étude de l’Université de l’Australie du Sud publiée dans le British Medical Journal, le risque de dépression augmente de 300 % dans un milieu de travail toxique.
Traitement
S’il est vrai que les leaders ont un grand impact sur la création et le maintien d’un milieu de travail qui soit sain, stimulant et positif, les employés et employées aux prises avec un environnement toxique peuvent néanmoins poser des gestes individuels pour modifier leur situation. Notez que ce ne sont pas des étapes, mais bien des options : il revient à chaque personne de retenir celle ou celles qui lui conviennent.
1 – Documenter toute situation problématique
Plusieurs des facteurs qui contribuent à créer un environnement professionnel toxique font appel à une certaine part de subjectivité dans l’interprétation d’une situation donnée.
- Pour que votre analyse de la situation soit le plus objective possible et que vous ayez tout en main pour la porter à l’attention d’autrui si vous le désirez, Mme Chèvrefils recommande de noter les événements et les ressentis :
- Que s’est-il passé? À quel moment?
- Qui a pris part à l’incident? Qui en a été témoin?
- Qu’avez-vous ressenti? Qu’avez-vous dit ou fait?
- Etc.
2 – S’exprimer.
Dans le contexte d’un environnement toxique, oser dire «â€¯non » ou rapporter tout haut des situations problématiques peut sembler intimidant. Cela dit, il arrive plus souvent qu’on ne le pense que les gens à la source de ces situations ne soient même pas au fait de leur participation à un environnement toxique! Il importe de les en informer pour qu’ils puissent s’ajuster. Mme Chèvrefils insiste cependant sur votre droit, comme employé ou employée, à ne pas opter pour cette mesure – ou toute autre d’ailleurs – si vous n’êtes pas à l’aise.
3 – Porter plainte à son ou sa gestionnaire
Si le climat toxique concerne un ou plusieurs autres employés ou employées, se tourner vers son ou sa gestionnaire pour l’informer de la situation est envisageable. Si le climat se rapporte au ou à la gestionnaire en soi, on peut consulter le service des ressources humaines. Mme Chèvrefils se fait d’ailleurs encourageante si vous optez pour cette mesure d’action : «â€¯L’écoute que vous recevrez et les solutions qui seront mises en place pour assainir l’environnement pourraient vous surprendre. »
4 – Se renseigner sur les politiques internes et les obligations légales de l’employeur relatives au bien-être au travail et à la gestion de conflit
On garde en tête que l’employeur a la responsabilité, en vertu de la loi, de voir à la conformité de son milieu de travail. Pour ce faire, il se dote de politiques prévoyant les mesures à appliquer afin de préserver ou de rétablir un climat de travail sain. Souvent, ces politiques indiquent aussi la personne-ressource à l’interne responsable de recevoir les témoignages ou les plaintes et de les traiter avec confidentialité. À l’affût de ses droits et des mesures censées être en application dans son milieu de travail afin de respecter la loi au minimum, l’employé ou l’employée sera mieux à même de documenter les situations problématiques, en vue de les rapporter éventuellement.
5 – Porter plainte auprès d’une instance
Il est possible de porter plainte auprès d’un syndicat, d’un ombudsman ou d’une ligne éthique offrant un service anonyme et confidentiel. Selon la nature de l’instance choisie, celle-ci pourrait analyser la situation rapportée et décider de poursuivre les démarches selon le diagnostic posé.
Sinon, on peut aussi s’en remettre à la CNESST, puisque tout employeur au Québec a l’obligation légale de favoriser un environnement de travail qui soit sain, sécuritaire et qui protège l’intégrité physique et psychologique de ses ressources humaines.
6 – Obtenir du soutien
Les programmes d’aide aux employés et employées, les services de télémédecine, les lignes infosociales accessibles en tout temps, les proches… tous les moyens sont bons pour trouver une oreille attentive à laquelle se confier. «â€¯On n’est pas en mode solution ici; on demande juste d’être dans l’écoute et la compréhension, pour soulager », explique Mme Chèvrefils.
7 – Prendre soin de soi
Prévoir des pauses durant sa journée de travail, se déconnecter à la fin de la journée et prendre des vacances sont d’excellentes façons de faire attention à soi et de ne pas se laisser emporter par un milieu toxique.
8 – Quitter son emploi
Parfois, le choix privilégié est de quitter son emploi, pour changer d’équipe ou d’organisation. Ce n’est pas une défection, mais bien une solution tout à fait valide et courante pour l’individu qui ne veut plus naviguer dans un environnement professionnel toxique. Après tout, le fardeau d’assainissement du milieu repose principalement sur l’employeur, et non sur les employés et employées.
Dans la foulée, il faut faire attention de garder confiance en soi et de bien organiser sa transition professionnelle : on laisse le passé derrière et on se concentre sur l’avenir!
Le mot de la fin
Le monde du travail s’est considérablement modifié au cours des dernières décennies, de sorte que certains milieux professionnels autrefois considérés comme normaux sont maintenant des environnements toxiques. Employés et employées, faites attention de les repérer et de prendre les décisions qui s’imposent pour votre bien-être et votre plaisir au travail.
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Merci à notre collaboratrice externe :
Marie-Hélène Chèvrefils, M. Sc., CRHA
mhchevrefils@evoconseils.com